Pourquoi vouloir aller tirer la moustache du lion qui dort ?

Par YVES LEFEBVRE membre de la commission déontologie

 Introduit par Philippe Grauer ex président du SNPPsy

Notre psychothérapie relationnelle, un champ disciplinaire regroupant sous cette appellation par nous contrôlée, un certain nombre de méthodes importantes, axées selon le principe de la relation qui soigne, doit-elle se commercialiser, pardon, se bureaucratiser, à ce point, fût-ce au prix d’y perdre son âme ?

L’âme, c’est précisément notre objet, notre sujet, notre matière première. Une chose qui ne soit jamais susceptible de devenir un produit. Un bien non négociable administrativement, alignable sur le politiquement correct, empackagé en vue de mise sur le marché.

Si nous nous en tenons à nos valeurs, nous ne pourrions nous joindre à l’ensemble institutionnel psychologico-médical actuel qu’à l’occasion d’un partenariat qui respecterait les deux identités en présence, et articulerait nos écoles respectées dans leur format et philosophie actuels, à l’université.

Les tenants de l’ordre psychiatrico- psychologique n’en ont point voulu quand le ministre Xavier Bertrand l’avait proposé . C’est plié refusé pour cette génération.

Il nous reste l’autoréglementation mise en place de longue date, dans les années 80. Conduisons notre psychothérapie selon ses seuls justes principes, dans l’indépendance et la dignité. Largement suffisantes à l’exercice libéral qui reste le nôtre. Les candidats à s’y former et le public qui a besoin de nous sauront à quoi s’en tenir, et se régler sur l’alternative que nous représentons. Après tout, nous prônons à l’égard de notre patientèle des valeurs de conduite autonome courageuse. Rester debout ou se relever. Donnons-en en tant que collectif l’exemple. Montrons-nous capables de nous reconnaître nous-mêmes, comme nous suggérons à nos patients d’en entamer pour eux, dans la relation, la démarche.

Philippe Grauer

Lorsqu’ils ont voulu se faire reconnaître par l’État, ceux qui se reconnaissaient depuis longtemps dans le métier de « psychothérapeute » autoréglementé par leurs instances professionnelles, se sont trouvés réglementés sur des critères très éloignés de leurs pratiques et de leurs objectifs.

Il ne fallait plus avoir travaillé sur soi et suivi une formation pratique à l’exercice de la psychothérapie comme l’exigeaient leurs organisations privées, mais être diplômé de l’université dans des cursus incluant un enseignement théorique de psychopathologie médicale.

C’est très différent. Du coup beaucoup ont refusé cette soi-disant reconnaissance qui les aliénait et dénaturait leur profession. Ils ont dû changer de nom, s’appelant « psychopraticiens relationnels » puisque leur ancien nom avait changé de sens, devenant un titre officiel administrativement défini sur d’autres critères que ceux de leur cœur de métier.

Mais aujourd’hui encore beaucoup des ci-devant psychothérapeutes bien formés à leur pratique mais qui n’avaient pas les diplômes universitaires requis ou, s’ils les avaient, qui ne se reconnaissaient plus dans ce que recouvre ce nouveau titre, continuent d’espérer une autre reconnaissance étatique officielle, oubliant les leçons de l’expérience passée.

Or, leur activité d’accompagnement de personnes en souffrance psychique conduisant à la subjectivation par la relation psychothérapique, n’entre pas dans les critères de la médecine scientiste et s’oppose aux intérêts corporatistes des psychologues cliniciens.

La dimension humaine, relationnelle, symbolique et philosophique de leur démarche n’entre pas non plus dans les critères bureaucratiques et réglementaires de l’administration qui, si c’est elle qui doit les reconnaître, ne sait pas dans quelle case les mettre. Un soin qui ne serait pas médical ni même paramédical comme les infirmières ou les kinésithérapeutes, relève à ses yeux sinon du charlatanisme, à tout le moins d’une sous-catégorie des professions de bien-être comme les soins de beauté, les auxiliaires de vie ou les conseillers conjugaux, ou autres counseling si ça fait mieux en anglais.

Il y aurait alors d’un côté les psychothérapeutes enregistrés ADELI comme il y a les infirmières diplômées, et de l’autre les psychopraticiens renommés conseillers de bien-être, comme il y a les aides-soignantes.

La psychothérapie relationnelle cependant, à l’instar de la psychanalyse, n’est pas un soin annexe de conseils en vue du bien-être, mais un processus subtil et laborieux qui transforme profondément la psyché et remet en route le processus de réalisation d’une personne comme libre sujet de sa propre vie.

Le soin du processus de subjectivation ne peut entrer dans une sous-catégorie réglementée sur critères administratifs sans se dénaturer. Il demande une compétence approfondie, fruit d’un très long travail sur soi et d’une longue formation spécialisée. Les psychanalystes qui accompagnent le même processus de subjectivation s’en sortent parce qu’il pratiquent leur art qui n’a rien de médical, sous le paravent d’un titre de médecin psychiatre ou de psychologue clinicien, métiers qu’ils n’exercent pourtant pas.

Mais alors pourquoi cette quête de reconnaissance bureaucratique faussement rassurante mais réellement aliénante ?

En effet l’État de droit ne peut faire autrement que d’encadrer l’inattendu créatif et vivant de la psychothérapie relationnelle selon des critères administratifs et scientistes qui s’y opposent par nature. Il ne peut réglementer une profession que selon sa propre logique juridique. En France, les seuls diplômes reconnus d’État sont de par la loi les diplômes universitaires. Les diplômes des écoles privées sont reconnus ou non par les acteurs privés selon leur réputation et leurs réseaux d’influence, l’État garantissant la liberté d’entreprendre et n’intervenant que s’il y a des comportements illégaux. D’innombrables professions ne sont pas réglementées par l’État mais par leurs propres instances professionnelles et s’en trouvent bien.

La psychothérapie relationnelle a besoin de liberté. Ce sont ses instances privées qui la réglementent sur des critères de formation et de déontologie très sérieux, à l’instar de nombreuses autres professions. Sans doute doit-elle faire connaître sa qualité et sa spécificité philosophique comme soin non médical, n’entrant donc pas en concurrence avec la médecine à laquelle elle sait faire appel en cas de besoin. Le danger en effet est de se faire attaquer pour pratique illégale de la médecine alors que ce que nous faisons est d’une tout autre nature. Mais elle n’a nul besoin d’une réglementation étatique, la plupart des psychopraticiens travaillant en exercice libéral et non comme salariés d’organismes d’État logiquement recrutés sur diplômes d’État.

Mais l’enjeu s’avère plus large. Comprenons le contexte : dans le « politiquement correct » du néolibéralisme dominant, la pensée doit se conformer au scientisme1 et les soins doivent dépendre de la médecine organiciste, au prétexte de l’objectivité, de l’efficacité, de la rentabilité et finalement de la marchandisation de l’existence.

Hélas la simple observation de l’évolution de la société montre que ce système a des conséquences de plus en plus déshumanisantes. La psychothérapie relationnelle, de par sa nature même, prend le contre-pied de l’idéologie scientiste et de la réglementation étatique.

Par définition, la vie ne se réglemente pas. En replaçant la qualité relationnelle et la créativité personnelle en premier dans la hiérarchie des valeurs, la psychothérapie relationnelle introduit même une subversion. Elle réhumanise le soin en rendant la personne actrice de sa propre démarche dans une relation sujet-sujet, à l’inverse d’une relation dans laquelle un sujet expert paramédicalisé applique un soin sur un objet-patient pour guérir un symptôme sur ordonnance d’un médecin, le tout remboursable par la Sécurité sociale.

Certes ce type de soin médical a toute sa nécessité et sa valeur, mais la psychothérapie relationnelle s’adresse à un autre niveau d’être complémentaire et différent du médical. Elle ne vise pas à l’éradication d’un symptôme, mais à remettre en route le processus d’évolution de la personne elle-même par elle-même, lui rendant sa dignité et sa responsabilité grâce à sa créativité retrouvée, source première de la vie psychique humaine. Cela advient dans une relation de sujet à sujet où l’accompagnateur empathique ne se situe pas comme le « sachant » et considère l’autre à égalité de valeur, de pouvoir et de responsabilité.

Il faut un certain courage pour renoncer à une « reconnaissance » en réalité illusoire et même à forts risques d’aliénation. C’est aller à contre-courant de la normalisation incluant la médicalisation de l’existence. C’est oser faire advenir du nouveau en s’appuyant sur la créativité vivante et sur la qualité éthique de l’être-thérapeute, critères antinomiques de ceux de la médecine scientiste et de l’administration.

Cependant, grande reste la tentation de réclamer de l’État qu’il vienne s’occuper de notre métier, comme l’enfant qui veut que ses parents le reconnaissent et le protègent. Mais ce n’est pas du tout ce que fait l’État qui, lui, vote et applique des lois sans considérer les émois psychiques légitimes de l’enfance, lesquels peuvent se transposer à l’âge adulte dans le besoin de reconnaissance officielle.

« L’analyste s’autorise de lui-même… et de quelques autres » (ses pairs) a dit Lacan.

Le psychopraticien relationnel aussi. L’administration dont la valeur et la fonction sont très importantes pour le fonctionnement de la société, n’est pas la mieux placée pour comprendre les enjeux de la psychothérapie relationnelle qui n’entrent pas dans ses critères. C’est pourquoi le SNPPsy a instauré son processus de titularisation, la reconnaissance par les pairs qui a une fonction initiatique et dispense du besoin d’autres reconnaissances devenues psychiquement inutiles.

Alors, après réflexion, s’impose la bonne question : faut-il vraiment aller tirer la moustache du lion qui dort ?

Yves Lefebvre

1 Le scientisme est une idéologie selon laquelle la science expérimentale a priorité sur les autres approches pour interpréter le monde et voudrait « organiser scientifiquement l’humanité » (Renan) en appliquant ses propres méthodes dans tous les domaines. Aux risques et périls d’un univers déshumanisé, ce que Renan n’avait pas prévu.