Une intervention lors de la journée d’étude : « la relation thérapeutique » du 16 mai 2018
Publié le 23 mai 2018
par Yves Lefebvre
Superviseur agréé par le SNPPsy, membre de la commission déontologie.
Quand c’est la relation qui soigne, quand elle est le moteur et le carburant principal de la psychothérapie, ce ne peut pas être n’importe quelle relation parce que toute relation, même positive, sympathique, éducative, soutenante, chaleureuse ou charitable ou encore amoureuse n’est pas spécifiquement thérapeutique.
La relation thérapeutique comporte plusieurs ingrédients qui ont chacun leur effet spécifique. Ainsi par exemple la relation à base de neutralité bienveillante de la psychanalyse favorisera le transfert, c’est-à-dire que l’effacement de la réalité du psychanalyste permettra la projection sur lui d’anciens affects qui ne seront plus refoulés mais cette fois ressentis et donc analysables ; tandis que l’empathie congruente de la psychothérapie relationnelle stimulera chez la personne le désir de se réaliser elle-même dans sa propre forme d’être parce que c’est son authenticité qui aura été reçue, comprise et contenue par le praticien.
Il importe donc de savoir ce qu’on fait, pourquoi et comment on le fait et ce que ça produit, qui peut être thérapeutique ou non indépendamment du fait que ce soit relationnel. Toutes sortes d’autres éléments feront que la relation sera un peu, beaucoup ou pas du tout thérapeutique. Mais dans tous les cas, c’est la dimension éthique de la relation qui fera la base incontournable, le fondement de toute relation qui puisse prétendre à un effet thérapeutique.
Qu’est-ce que l’éthique ? Aristote a recherché la nature du souverain bien en s’appuyant sur la raison. C’est le but de ce qu’il appelle l’éthique, dans une démarche dynamique en vue de la vie bonne. L’éthique s’interroge depuis lors sur le pourquoi et le comment des comportements qui devraient orienter notre action dans les différentes situations de la vie, avant même qu’on puisse les considérer comme idéal moral absolu ou règle intangible de droit. Elle cherche à poser les bonnes questions en vue d’orienter les réponses vers le plus utile et le plus juste dans une situation donnée. Elle est une réflexion sur les attitudes à adopter pour rendre la vie bonne dans un monde humainement habitable. Au regard d’Aristote, il s’agit de vivre une vie digne d’être vécue c’est-à-dire accomplie. Il conçoit aussi le bonheur individuel en rapport avec le bonheur de la cité, ce qui inclut une dimension relationnelle et sociale. Ainsi l’éthique interroge les valeurs et les modalités mises en jeu dans la relation avec un souci de justesse et d’utilité.
Dans chaque situation, l’éthique nous impose parfois de transformer la question : « quoi faire ? » par l’interrogation « qui être ? » pour que notre action reste au seul service du processus thérapeutique et de rien d’autre. Elle n’apporte donc pas de solutions toutes faites aux problèmes concrets. Elle oblige à une pensée créative mais droite qui fait notre beauté intérieure face aux défis de l’existence. Elle nous replace dans la visée de l’être lui-même qui est éthique par nature mais elle l’applique à des situations concrètes.
Prenons l’exemple bien matériel du paiement des séances. En quoi et comment ce moment particulier du paiement peut-il entrer dans l’éthique de la relation thérapeutique ? Nous savons que l’acte de payer redonne à la personne du pouvoir en la sortant de l’assistanat infantilisant dans une dimension sociale adulte qui lui permet d’autant mieux de régresser pendant la séance en toute sécurité. Mais imaginons une personne qui n’a pas les moyens de payer. L’éthique qui nous conduirait à lui accorder des séances gratuites ou à très faible coût ressortit à une morale altruiste mais pas forcément à une relation thérapeutique. Ça va dépendre de chaque cas particulier. L’éthique va nous obliger à poser la question de notre éventuelle posture de sauveur assistant une personne qui du coup serait assujettie et se ressentirait en dette, dans une relation sujet-objet et non plus sujet-sujet, ou dans une relation parent-enfant qui empêcherait la personne de grandir, ou de céder à une toute-puissance infantile où le biberon est un dû sans rien donner en échange, à l’encontre même des buts de la thérapie qui tendent à l’autonomie de la personne et à sa réalisation adulte.
Il est moral d’assister la personne en difficulté mais ce n’est pas forcément dans l’éthique thérapeutique. Sauf pour les cas particuliers des enfants, des personnes en détresse sociale, des mourants ou de situations pour lesquelles le paiement des séances ne ferait pas sens. Si le paiement fait sens et que la personne ne peut pas payer et que vous travaillez en libéral, mieux vaut l’orienter dans la plupart des cas vers une institution pratiquant des thérapies non pas gratuites mais payées par le contribuable, chose que l’éthique relationnelle nous invitera à nommer pour que la personne sache qu’elle n’est pas le bébé à qui le biberon est dû mais la personne en difficulté pour qui d’autres paient en attendant qu’elle puisse se prendre en charge à son tour car il ne serait pas éthique de faire comme si le praticien n’était pas payé par quelqu’un et agissait gratuitement comme une mère envers son enfant.
C’est la différence entre une relation thérapeutique éthique et une relation charitable ou morale mais pas spécifiquement thérapeutique, voire même contraire au processus thérapeutique.
Le paiement suppose aussi de satisfaire les besoins légitimes du praticien. En effet, s’il n’est pas nourri par l’argent de quoi d’autre va-t-il se nourrir ? De besoins narcissiques sur le dos de la personne, se faire aimer, se sentir puissant dans sa générosité, du fantasme du sauveur, ou d’une jouissance secrète plus érotique, ou bien il projette sur la personne son propre enfant intérieur en manque et lui donne ce qu’il aurait aimé recevoir ou quoi d’autre encore qui serait serait signifiant d’une problématique du praticien mais pas du tout de celle de la personne ? Toute relation thérapeutique suppose en effet un échange dans lequel chacun des protagonistes s’y retrouve, c’est la relation sujet-sujet dans une altérité qui suppose la différence des fonctions mais l’égalité de valeur des personnes en présence, sinon d’autres facteurs conscients ou inconscients parasitent le processus thérapeutique et le détournent de ses buts. Le paiement comme les autres dispositions intervenant dans la relation se doivent d’être à la fois justes, bons et utiles pour la personne et nourrissant pour le praticien, sinon ce qui est thérapeutique dans la relation se trouve pollué par des considérations qui ne devraient pas s’y trouver.
Bien entendu l’essentiel de la relation thérapeutique n’est pas le moment particulier du paiement bien qu’il en fasse partie, il se trouve essentiellement dans ce que Carl Roger appelait l’empathie congruente, la capacité authentique d’entendre et ressentir l’autre de son propre point de vue avant d’y prendre le recul de notre propre point de vue.
L’éthique oblige alors à penser ce qui se joue là pour les deux personnes en présence, et cette pensée même contribue au processus thérapeutique parce qu’elle fait tiers dans la relation. En effet la différence des rôles dans l’égalité de valeur d’une relation sujet à sujet et non pas soigneur-sujet à soigné-objet, mais aussi le cadre, l’argent comme nous venons de le voir, et finalement la pensée éthique elle-même qui préside à tous ces aspects de la relation, viennent s’immiscer dans l’intimité de la relation comme un tiers social pour la réguler et la rendre ainsi profondément thérapeutique. Elle introduit de l’altérité socialisante là ou les affects tendent à introduire de la fusion ou de l’incestuel. Elle introduit de la relation triangulaire là où la relation n’est que duelle et tire vers la relation fusionnelle. Elle permet de rejouer le processus de triangulation qui construit le sujet.
C’est pourquoi la pensée éthique appliquée à la relation thérapeutique joue un rôle essentiel. Elle nous conduit sans cesse à nous interroger et nous réorienter vers ce qui est utile au processus thérapeutique dans nos interventions, notre cadre, nos silences, nos références théoriques et nos méthodes, et nous détourner de ce qui n’est pas utile voire de ce qui risquerait de nuire à ce processus. C’est bien l’éthique qui fonde l’être-thérapeute du praticien en psychothérapie relationnelle.
Les autres interventions de cette journée figurent sur notre site internet dans la partie : réservée aux membres .
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