{Par Bertrand de la Vaissière membre titulaire du SNPPsy
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{{Mort imminente et transcendance
Une autre anabase}}
Certains livres entrouvrent des portes et contribuent à mettre fin à un état dirrésolution en balayant des questions restées sans réponse ou en les référant autrement. Ils apportent dans le même temps une nourriture attendue depuis longtemps.
Le témoignage de Eben Alexander est de ceux là. Cet homme, professeur en neurochirurgie, relate dans un opuscule au titre apparemment racoleur « La preuve du paradis »* comment ses convictions scientifiques matérialistes ont été mises à lépreuve après une expérience de mort imminente dans un état de coma profond qui a duré sept jours. **
Jusquà cet incident majeur (méningite bactérienne à E coli, atypique, voire orpheline) il souscrivait à la doxa scientifique selon laquelle le cerveau est la machine qui produit la conscience et nétait donc pas sensiblement effleuré par la réalité de lâme.
Son EMI lui permit au contraire dêtre transporté dans un monde ou une conscience existe de façon totalement indépendante des limitations du cerveau (et
du corps). Et, au cours de cette plongée, il lui fut donné de participer à une intelligence globale et absolue, dont lemprisonnement dans lespace temps ordinaire et dans le sentiment dindividualité*** nous sépare habituellement.
Ainsi quà des modes de perceptions différentes, immédiats, sans séparation entre les divers sens, ni entre la conscience et lobjet de son appréhension ;****
ni entre le monde matériel et le monde psychique.*****
* Ed Jai lu 2012
** « Pendant cette période, lensemble de mon néocortex- la surface externe du cerveau, la partie qui fait de nous des humains- était éteint » p 18
** *Pour le philosophe Plotin « lenfermement dans le particulier » nous coupe de lUn
**** « Il semblait quon ne pouvait pas regarder ou écouter quoique ce soit dans ce monde sans en devenir une partie » p 72
*****(Les pensées) nétaient pas vagues, immatérielles ou abstraites, elles étaient solides et immédiates p 73
Le voyage que relate Eben Alexander sécarte sensiblement du simple récit dune NDE. Lorsquil vécut son expérience (si lon peut dire) il navait en effet plus aucune notion ni de son identité ni de son individualité,*.
Parce quil était alors confondu avec une autre conscience non personnelle ce voyage le fit participer à un autre monde. Et on pourrait peut-être dire quil le rapprocha de ce quun explorateur des mystères de lâme comme put lêtre Jung appelle « les racines de la conscience ».
***
Dans cet autre monde quil lui est donné de visiter, lombre et la lumière, la matière gravide et lintensité « spirituelle » de lamour inconditionnel coexistent et se complètent.
Au tout début de ce voyage il éprouve quil est immergé dans un milieu inférieur, quil appellera ensuite « le monde vu du ver de terre ». Celui-ci est décrit comme un espace chtonien originel, une bouillie primordiale ou un chaos sonore animé de pulsations rythmiques, peuplé dénergies plus ou moins sauvages ou dominent la laideur et le froid.
Puis il a le sentiment quil nappartient pas à ce premier milieu dans lequel il est comme piégé.
Il lui est ensuite donné de sen libérer pour naître à un univers de beauté, de bonté de lumière et damour inconditionnel.
Puis à passer plusieurs fois de lun à lautre.
Son récit est dune certaine façon tout à fait féerique et il correspond bien à ce quune imagination débridée, visionnaire ou poétique pourrait produire (Alexander insiste toutefois sur le caractère absolument réel de son expérience).
Dans le monde supérieur, qui ressemble au paradis, il navigue par exemple posé sur une surface dont la texture est faite de millions dailes de papillons. ** Il est alors accompagné dune femme sublime qui communique avec lui (de manière non conceptuelle) et lenseigne, ainsi que peut le faire une « anima » sophianique.***
* « Je navais pas de véritable centre de conscience. Je ne savais pas qui, ni ce que jétais… Jétais simplement ..Là, une forme singulière de conscience au milieu dun néant épais » p 114.
** Comme si le véhicule de la conscience à laquelle il participe était le tissage de toutes les âmes.
La Psyché des grecs, épouse dEros est représentée on le sait avec des ailes de papillon
***« Ce regard était en quelque sorte au-delà de tous les différents types damour que nous avons ici sur terre. Cétait quelque chose de plus élevé, qui contenait en lui toutes ces autres sortes damour
» p 65
Jung distingue quatre degrés de lanima, médiatrice entre conscient et inconscient. La Sophia étant le dernier degré qui contient aussi les trois autres.
Il pénètre ensuite dans un vide immense et sombre, et pourtant débordant de lumière, quil assimilera à la présence de Dieu et quil appellera le « cur ». Il est alors accompagné par une sphère* qui joue le rôle de médiateur entre lui et cette immensité et paraît être la source de la lumière.
Ce qui lui est également révélé est lexistence de nombre dunivers, au-delà de ce qui est normalement concevable **, ainsi que lomniprésence de lamour comme centre de chacun. Alexander éprouve la qualité inconditionnelle de cet amour, dans sa forme la plus pure, et il perçoit que tous ces univers ne sont pas entièrement séparés de nous, ce qui lui donnera par la suite, lorsquil sera revenu de son coma, matière à réflexion.
Il fait ensuite nombre de va et vient entre le « cur » et le « monde vu du ver de terre » quil est amené à reconnaître comme partie essentielle du cosmos, et de lémanation de la divinité.
Il comprend alors quil fait partie du Divin, sans séparation, ce qui lui donne lassurance de pouvoir retraverser le monde inférieur et efface toute source danxiété.
Enfin il appréhende la présence, nécessaire sur notre terre, du Mal substantiel, comme condition de différenciation de la conscience. (Alors que dans les autres univers il nexiste quen traces infimes).
***
Si lon accorde foi à un tel récit, on ne manquera pas de sinterroger sur lopportunité de nos conceptions et de nos pratiques spirituelles.
Alexander lui naura plus aucune hésitation. Il va désormais consacrer sa vie à témoigner et à proclamer que la vocation de tout homme est de se rapprocher autant quil le peut de son moi spirituel authentique et des autres mondes qui lui ont été révélés. Il en énoncera ou en rappellera les moyens : manifester de lamour et de la compassion. Etant précisé que ceux-ci sont bien davantage que des abstractions ou des idéaux, quils ont une réalité concrète, quils sont comme des constituants de la structure du monde psycho-spirituel.
* Le cercle, ou la sphère sont des formes parfaites traditionnellement associées à limage de Dieu. Jung pour sa part les rattache à la phénoménologie du Soi, principe ordonnateur et but de lindividuation
** « Jai vu labondance des formes de vie à travers un nombre calculable dunivers, dont certaines étaient dune intelligence bien supérieure à celle de lhumanité » p 76
Et il interprétera aussi plus tard son expérience comme celle de laccès à lêtre cosmique authentique quil est vraiment. *
***
La façon dont il restitue son expérience semble convoquer des références mythologiques et religieuses traditionnelles et des images qui correspondent à la symbolique des archétypes sans quon puisse dire si elles surgissent telles quelles au cours de son expérience ou si mobilisées à postériori elles laident à retranscrire et à interpréter ce qui a été vécu.
Il ne semble pas en tout cas quEben Alexander ait eu au préalable une forte culture mystique et symbolique.
On peut alors prendre le risque davancer que cest probablement à partir de telles expériences religieuses originelles (dites mystiques), de visions et détats de conscience comparables que les contenus des traditions ont été fixés. Donc tout aussi bien se dire que le voyage dAlexander est une vérification expérimentale de leur objectivité et de la réalité de linconscient collectif.
On retrouve en effet dans son récit plusieurs thèmes mythiques
La naissance de la conscience à partir du chaos
Le souvenir de lorigine Le Ciel et les enfers Le Bon Dieu
La représentation sphérique du Soi et de la divinité
Lemprisonnement dans un monde matériel, puis la libération et la participation à un monde angélique
La redescente dans les mondes inférieurs
Le va et vient entre le bas et le haut **
Le plus intéressant dans le témoignage dAlexander nest donc pas tant son étrangeté. Jung depuis longtemps, Grof et dautres nous ont fait douter que la conscience soit une production strictement humaine. Et sil importe de la « réaliser, » comme le disent les orientaux, on peut aussi croire quelle vient dailleurs.
Ce nest pas non plus sa singularité, bien évidente pourtant. Mais justement plutôt le fait que lexpérience du médecin jusque-là épris avant tout de rationalité et qui peut sassimiler à la réception dune autre conscience largement transpersonnelle corresponde aussi exactement aux énoncés spirituels déjà produits et depuis longtemps par la « sagesse » humaine.
* p 117 Ce qui évoque les spéculations gnostiques sur lAnthropos, que Jung commentera en parlant du grand homme qui est en tout homme, psychologiquement parlant du Soi
**Comme dans la Table dEmeraude : « Il monte au ciel et il descend en terre
»
Comme sil était plus que temps de prendre tout ça davantage au sérieux et den nourrir davantage notre anthropologie et notre psychologie. Temps de passer à autre chose en débordant des concepts étroits. Temps de conjoindre nos expériences de lici et maintenant et nos problématiques dadaptation avec la reconnaissance dun au-delà.
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Lorsquil parle de son expérience du « ciel » Eben Alexander prend soin de distinguer ce qui a été vécu dun rêve en insistant sur le statut de réalité, et même dultra réalité de celle-ci *
Est-ce le neurochirurgien qui parle ? Celui qui naccordait pas jusque-là au monde psychique un statut de réalité dont on peut pourtant faire lexpérience si sensible lors de nos états oniriques ordinaires et extraordinaires. (Au cours de ceux-ci il est vrai le néocortex nest pas débranché). Ou plutôt celui qui a vécu une expérience dune transcendance telle que même les rêves « numineux » ne peuvent lui être comparés ?
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Alexander est un médecin et un enseignant de bon niveau. Il met son expérience en perspective en rappelant dabord les conceptions dites scientifiques actuellement en vigueur, à savoir que la conscience est composée dinformation numérique.
Ce qui soit dit en passant laisse le mystère entier puisque nous ne savons pas ce que sont les nombres, sils ont été inventés par lhomme ou révélés. Tout au plus en connaissons-nous certaines des propriétés archétypiques (dont dérivent tant la numérologie que les spéculations tardives, anxieuses et passionnées dun Jacques Lacan). Lui-même affirme dailleurs que derrière les nombres se trouve Dieu.
Jung pour sa part les considérait comme des principes.**
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* « Bien que je ne savais pas où jétais ni même ce que jétais, jétais absolument sûr dune chose ; cet endroit dans lequel je me trouvais tout à coup était totalement réel »
Jai lu p 63
** Les nombres étaient pour Jung lexpression la plus primitive de lesprit.
Il entend par esprit un facteur dordre actif et dynamique à luvre dans et sous le psychisme inconscient.
Mais dans la mesure où le nombre représente également une propriété inhérente à la matière conformément à la nature quantique de toute énergie, le nombre apparaît comme lélément objectif et spirituel qui ordonne en même temps la psyché et la matière.
(Extrait de Marie Louise von Franz Matière et Psyché Ed Albin Michel)
Il émet ensuite lhypothèse que le cerveau serait en fait un filtre ou une valve transformant tous les stimuli en provenance de la conscience cosmique et des autres mondes * et les réduisant en fonction de ce qui est assimilable au cours de notre vie ?
Il souligne ou rappelle lintérêt de certaines techniques de méditation pour inactiver la fonction de filtre du cerveau humain et tenter de revenir dans un monde similaire à celui quil avait visité pendant son coma.
***
Lauteur à la fin de son opuscule rejoint ceux qui pensent quil est impossible de rechercher la réalité ultime de lunivers sans approfondir la nature et lorigine de la conscience. Il considère dailleurs celle-ci comme plus réelle que le reste de lexistence physique (ce que nous appelons la matière) et insiste sur son rôle fondamental dans la représentation de cette réalité. Il dit même davantage : « Jai découvert. que la conscience est la base même de tout ce qui existe »****
Une telle affirmation rejoint sans doute lantique proposition de la correspondance entre le microcosme (lesprit de lhomme) et le macrocosme (lunivers) reprise notamment par lalchimiste Jabir : « Lhomme qui est limage du grand monde
il possède aussi le ciel et la terre. En effet lâme et lintellect constituent son ciel mais le corps et la sensualité sont sa terre
Si bien que connaître le ciel et la terre de lhomme est la même chose que davoir la connaissance pleine et intégrale du monde entier et des choses naturelles. »***
Il parle enfin du pouvoir créatif dont il a été le témoin lorsquil était dans le « ciel » et dans le « cur », ainsi que de leffacement des limites entre sa conscience et le monde.* Il rejoint alors lintuition des alchimistes qui assignaient comme terme de leur uvre la recréation du monde et lunion avec le monde. Telle est la signification ultime et supérieure de la » rubedo », au-delà de lincarnation et de lexpression la plus entière de notre nature, (ce qui constitue déjà un objectif raisonnable).
***
*Il utilise en fait lexpression suivante « vaste conscience non physique qui est la nôtre dans les mondes non physiques »
**page 128 Il aurait pu préciser : Jai découvert à mon tour…
*** Cité par Jung dans Mysterium conjunctionis Tome 2 p 163
**** Cet effacement est allé si loin que je suis par moments devenu lunivers entier p 226
***** uvre au rouge.
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