Publié le 25/11/19 par Jean-Marie Bouclet Titulaire du SNPPsy
(Quelques réflexions personnelles à partir du livre Bruno Dufay « L’individualiste hyper connecté » lors de la conviviale de Démocratie et Spiritualité du 17 septembre 2019)
Dès notre naissance, nous sommes confrontés à un vide existentiel et à un manque qui marque profondément notre façon d’agir et de penser. Nous avons toute une vie pour apprendre à exister, chercher, donner un sens à nos vies (« Le dur travail d’exister » de Max Pages).
La mort est le plus souvent niée. Ce déni est d’autant plus actif qu’il est inconscient et s’exprime à notre insu dans nos choix quotidiens (cf. « La mort interdite » de B. Vergely, « Le bourreau de l’amour » et « Thérapie existentielle » d’Irvin Yalom).
Nous vivons alors dans la peur de perdre et de renoncer, ce qui empêche de vivre pleinement les différents âges de la vie.
Face à ce vide, l’individu doit se faire reconnaître des siens, trouver sa place au sein de la famille et plus largement au sein de la société. Si l’existence est donnée, elle doit néanmoins faire l’objet d’une construction, tout au moins dans un premier temps, sur la base d’un mouvement d’extériorité, dans le souci de se faire reconnaitre et aimer à tout prix des siens. Les signes de reconnaissance sont essentiels pour l’individu qui vit dans une société marquée par la vitesse et qui requiert une grande réactivité.
La construction d’une enveloppe contenante, dans un monde dont les changements le sollicitent en permanence et dont les repères sont particulièrement incertains, n’est pas évidente. L’acquisition des technologies de communication dont l’apprentissage est difficile pour beaucoup est incontournable pour faire face à de tels changements.
L’individu est amené à vivre dans l’immédiateté, sans se donner le temps de penser ni de réaliser que, pour jouer pleinement son rôle, son enveloppe requiert de faire appel aux forces de vie venant de l’intérieur. Celles-ci se manifestent également dans la relation, à travers un lien sain à l’autre.
Mais dans une vie sociale ou professionnelle soumise à la rivalité et à la compétition, son développement est freiné, ce qui le rend sensible et vulnérable. L’enveloppe se fissure à chaque fois qu’il y a perte de liens significatifs que ce soit au sein du couple, professionnellement ou socialement. Vient alors le moment du doute et d’une angoisse jusqu’alors contenue. Les œuvres et créations se trouvent impactées du sceau de l’incertitude.
Un questionnement personnel surgit brutalement, qui ne va pas sans douleur et souffrance. Il interroge sur le sens de sa vie, sur l’attention qu’il lui accorde ou qu’‘il doit accorder aux mouvements de la vie, en lui bien sûr, mais aussi dans l’environnement social et politique dont il a pu sous- estimer l’importance.
L’individualiste s’est centré sur une construction personnelle dans une quête autocentrée, où l’autre n’est reconnu que dans la mesure où il est utile. Il peut alors se produire un certain rejet, moment difficile à vivre pour beaucoup, qui peut l’entrainer dans la négation de lui même ou de l’autre qui n’a pas répondu à ses attentes.
Ces moments sont décisifs dans l’orientation d’une vie, ils questionnent le sens qui a été donné à la vie. Mais c’est plutôt le non sens qui apparaît à ce moment-là avec une certaine brutalité. C’est le moment aussi où l’on s’interroge sur les croyances qui ont guidées la vie jusqu’alors, sur les valeurs transmises par l’environnement familial, social qui ont résonné en soi, qui semblaient oubliée ou tout au moins non questionnées. Elles resurgissent à cet instant.
L’individu, hyper connecté au monde, n’a pas pris le temps de se connecter à son monde intérieur. Il embrassait tellement de situations auxquelles il se sentait relié qu’il en avait oublié de se relier à lui-même et de s’arrêter un instant pour penser. Dans un cas extrême on pourrait dire qu’il ne s’appartenait pas et que toutes ses expériences multiples vécues se sont enregistrées sans être pour autant métabolisées.
C’est le travail d’intériorisation qui va permettre de constituer cette enveloppe intérieure manquante et donner de l’épaisseur à la Personne qui s’engage ainsi sur un chemin d’individuation (cf Jung).
L’individualiste est en fait convié à une autre aventure, plus intérieure, au cours de laquelle il va découvrir qu’il est aussi « le produit d’une histoire dont il convient de devenir Sujet ». Cette histoire est d’autant plus active et déterminante qu’elle est inconsciente, produite par les injonctions parentales, les croyances de la lignée familiale qui vont l’agir dans sa vie présente. Il va devoir choisir son propre chemin pour sortir de l’enfermement qui le taraude et accéder à la liberté.
Dans cette période troublée, il lui est dit aussi qu’au-delà du sociologique, du psychologique et des expériences négatives vécues à l’instant ou dans l’enfance, la vie est présente et active dans chacun. Elle nourrit la relation pour qui veut et peut la saisir et lui donner forme. C’est ce saisissement mystérieux de la vie en nous, animée par l’esprit, qui féconde l’action et la pensée.
Cette histoire dont nous avons héritée, il convient de la reconnaître et de la partager avec l’autre, ce frère que nous côtoyons et que nous aimons tant
Saisissons l’Homme dans Son entièreté, affinons notre regard qui nous permet de percevoir l’invisible derrière le visible. Il nous revient d’entrer avec l’Autre dans un chemin d’intériorisation et de transformation.
L’esprit en nous permet d’indiquer en un éclair le chemin d’une liberté tant désirée (cf « Esprit et Liberté » de Nicolas Berdiaef. « La révolte de l’esprit » d’Olivier Clément)
Jean Marie Bouclet 06/10/2019
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